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“Le Sommet” au Festival d’Avignon : un concentré d’humanité

Hélène Kuttner 13 juillet 2025
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©Nora Rupp

De retour au Festival d’Avignon, le metteur en scène suisse Christoph Marthaler nous propose une rencontre au sommet entre six personnages de différentes nationalités européennes. Entre sommet politique européen et refuge de bourgeois suisses en montagne, le spectacle déroule, à son rythme, musical et poétique, une suite de séquences cocasses à l’humour totalement absurde. Peut-être à l’image de notre monde où tout le monde se parle sans se comprendre ?

Rencontre au sommet

« Je suis Suisse, on n’y peut rien changer », dit de lui-même le facétieux Christoph Marthaler, qui est effet né à Erlenbach dans le canton de Zurich. Et c’est sans doute en raison des quatre langues officielles de la Suisse, l’allemand, le français, l’italien et le romanche, que l’artiste a dès le début de son parcours préféré la musique, avec l’apprentissage du hautbois et de la flûte, aux mots. Formé à l’Ecole parisienne de mime Jacques Lecoq, ainsi qu’au free jazz, la musique et l’improvisation ont nourri son oeuvre originale, héritière du dadaïsme, mais aussi de l’opéra, qui tisse à l’intérieur de créations toutes singulières un savant mélange avec des corps, des voix, de la musique et des mots. Il y a tout cela dans sa nouvelle création, coproduites par trois grandes maisons européennes de théâtre, le Vidy de Lausanne, le Piccolo Teatro de Milan et la MC93 de Bobigny. C’est donc en allemand, en italien, en français, en anglais d’Ecosse et en autrichien que s’exprimeront les interprètes qui ont fabriqué, sous la houlette de Marthaler et de son conseiller dramaturqique Malte Ubenauf, une pochade délirante et poétique qui parle d’incommunicabilité et de solitude.

Mais où est ce sommet ?

©Nora Rupp

Quelque part entre ces pays séparés par les Alpes, la France, l’Allemagne, la Suisse, l’Autriche et l’Italie, six personnages, habillés à l’ancienne comme des montagnards, chapeau à plume et pantalon de velours côtelé, chaussures épaisses à lacets et pull en laine vierge, débarquent dans un refuge, ou un bunker, ou un atelier de survie en haute montagne. On ne sait pas exactement, mais qu’importe ? Au centre de la pièce commune, un gros rocher en forme de montagne, qui émerge du sol. Aux murs jaunes, des armoires pharmaceutiques de survie, des placards qui renferment des kits, et des lits escamotables. Mais on arrive ici par une sorte de monte-plats, dont surgissent tour à tour, comme des figures de mode ancienne, les personnages. Au début, on aura aperçu Mona Lisa, clin d’oeil italien à notre patrimoine européen. De simples néons servent d’éclairage à ces êtres qui, pour le moment, demeurent assis dans une posture de sagesse académique. Pourquoi sont-ils ici ? Est-ce le purgatoire ? Une réunion intime de VIP ? Ou des commissaires européens qui cherchent dans les hauteurs pacifiées, mais pas à Davos, à mieux se comprendre ? Ils sont en tous cas d’un plus grand sérieux, puis éclatent de rire comme des gamins. Tiens, voici l’accordéoniste qui déploie ses complaintes musicales, Adriano Celestano, Schubert ou Brahms, mais aussi un air des Beatles que chacun reprend à son compte. 

Des interprètes aux petits oignons

©Nora Rupp

Ce sont des complices, souvent de longue date, où de jeunes nouveaux prêts à s’embarquer dans une aventure hors-normes, qui sont les comédiens de Marthaler. Une aventure où la solidité narrative, la réalité dramaturgique, la cohérence formelle n’ont pas de mise. Seuls comptent le joyeux délire, la gravité poétique et l’humour décapant des scènes qui vont s’enchaîner. Liliana Benini, Charlotte Clamens, Frederica Fracassi, Raphael Clamer, Lukas Metzenbauer et le précieux complice, Graham F. Valentine, débutent le spectacle habillés, tentant d’accorder le violon de leur langue, sans jamais se comprendre, puis se débarrassant de leurs habits pour apparaître, en linge de corps couleur chair, dans l’atmosphère vaporeuse d’un sauna ! On disserte, on piaille, on se déplace comme des animaux qui parlent chacun une langue différente, mais on se respecte en personnages policés, tandis que Dieu et la Sainte Vierge, qui veille sur eux, surveillent. Olivier Cadiot, Dylan Thomas, Pier Paolo Pasolini, Werner Schwab ou Christophe Tarkos ont inspiré certains passages du spectacle. Mais soudain, il n’est plus possible à ces joyeux convives de redescendre dans la vallée : les routes sont coupées durant 15 à 18 ans ! Ce clin d’oeil à l’effondrement des glaciers et aux inondations spectaculaire, causées par le réchauffement climatique dans les massifs montagneux, est aussi ici un des fils du spectacle qui évoque, bien entendu, le monde incertain, confus et fragile qui nous entoure actuellement. Alors oui, on peut l’avouer, certaines séquences ont un peu un goût de déjà-vu, quand on connait bien le travail de l’artiste et le niveau d’exigence de ses créations. Mais on se laisse voluptueusement embarquer dans cette folie douce, dont les personnages, comme des enfants, choisissent en chœur, et en chantant, à la toute fin, de protéger et d’envelopper leur précieux monticule de pierre. L’espoir est donc bien là, dans cette collectivité protectrice.

Helène Kuttner

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